Revue de presse des articles du mois de septembre ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog.
Rubriques: Management interculturel – Chine: extensions – Inde: interactions – Etats-Unis: contradictions – France: irritations
Management interculturel
Le premier article de cette revue de presse : L’hôpital face à l’interculturel : le choc républicain est lui-même une synthèse d’une radiographie de plus vaste ampleur sur ce sujet. Il résume les résultats d’un mémoire de master 2 en management interculturel sur le sujet : Cinq hôpitaux et leurs équipes multiculturelles : des outils de gestion limités par l’idéal républicain ?
La question de l’interculturalité à l’hôpital est un sujet rarement abordé. Je l’ai pour ma part traitée sous l’angle de la relation médecin/patient dans Pratiques interculturelles en milieu hospitalier. Ici, les auteurs de ce mémoire mettent en évidence cette dimension entre soignants eux-mêmes. Leurs analyses rejoignent certains constats établis dans ce blog, par exemple :
« Les outils de gestion sont neutres, nous dit-on, et l’universalisme à la française, le garant d’un traitement égalitaire. Nous voilà doublement protégé contre une analyse des politiques de ressources humaines dans le champ des relations professionnelles. Or, ceci ouvre la voie à l’immobilisme managérial en matière d’internationalisation du personnel hospitalier […] »
Cet immobilisme managérial s’exprime au sein des équipes hospitalières « par des liens hiérarchiques pyramidaux issus de l’Ancien Régime ». Couplé à l’universalisme, ce féodalisme produit un « déni des compétences particulières liées à la diversité »:
« N’ayant pas les clés pour répondre aux besoins spécifiques des personnels issus de la migration et pour partager les compétences, l’hôpital met l’accent sur la culture du métier, la compétence technique. »
La survalorisation des compétences techniques au détriment des compétences non-techniques (facteur humain, interculturalité, langues, etc.) est la conséquence logique d’une culture de la non-prise en compte des facteurs culturels. Nous retrouvons là exactement les mêmes défaillances que dans l’aéronautique (voir L’aéronautique à l’épreuve de la matrice culturelle française).
Il est un secteur où les compétences techniques prédominent et où la dimension nationale est prépondérante : l’automobile. Or, dans le cadre d’alliances entre constructeurs de cultures différentes, il est impératif de brider la force de ces deux éléments pour développer les compétences interculturelles. En la matière, l’alliance de Renault et de Nissan est devenue un cas d’école. Ce cas a été analysé dans une étude (pdf) publiée en 2008 par la revue Management & Avenir (notamment à partir de la page 14 de ce document).
L’attention extrême portée par Carlos Ghosn à la fois au respect de l’identité de chaque groupe et à la création de synergies culturelles, notamment via la création d’équipes transversales et le souci de définir la façon de communiquer entre les équipes, a été un élément clé de ce succès. L’Allemand Volkswagen et le Japonais Suzuki ne semblent pas engagés dans cette voie à en croire La Gazette de Berlin : Volkswagen et Suzuki : sortie de route ?
En décembre 2009, les deux groupes ont signé un partenariat « entre égaux » qui s’avère avec le temps de plus en plus bancal, au point que les deux groupes sont sur le point de se séparer. L’intérêt mutuel était pourtant évident :
- d’un côté, Volkswagen se renforçait dans la fabrication de petits véhicules – le point fort de Suzuki – et envisageait de se développer enfin en Inde où le Japonais est en position de force ;
- d’un autre côté, Suzuki espérait accéder aux nouvelles motorisations des véhicules hybrides et acquérir certains composants techniques de Volkswagen.
C’est sur ce dernier point que les attentes des Japonais ont été déçues. S’ajoute à cette déception une communication maladroite de Volkswagen, peu sensible à la susceptibilité japonaise. La reconnaissance des qualités et différences de chacun est la base pour lancer une coopération. Or, il semble que cette étape n’ait jamais été envisagée de part et d’autre comme le fondement de leur alliance.
Enfin, le cabinet Ernst & Young a publié une étude sur la mondialisation des entrepreneurs : Ambitious, adept and agile : how global entrepreneurs are changing the world (pdf). On y trouve un graphique intéressant sur le taux d’étrangers au niveau du senior management en fonction du degré d’internationalisation des entreprises :
Chine : extensions
La radiographie de la Chine présente un corps complexe en mouvement permanent selon le principe de la capillarité. Je prendrai deux exemples récents de cette extension progressive. Le premier concerne la proposition de renflouement du suédois Saab par un groupe chinois. Une façon très intelligente d’exploiter les difficultés des autres à son profit, notamment pour capter des technologies essentielles :
« La société néerlandaise Swedish Automobile (ex Spyker), propriétaire du constructeur automobile Saab, a annoncé qu’elle avait conclu un accord avec le groupe automobile chinois Youngman. Cet accord, qui prévoit le partage de la technologie développée sur le concept “PhoeniX”, et qui constitue la base technologique des prochains véhicules produits par Saab, se fait moyennant le paiement de 70 millions d’euros au groupe néerlandais. »
Le deuxième exemple concerne l’intérêt stratégique (ou plutôt « tactique » en l’occurrence) pour les ports. Après le rachat d’une partie du port du Pirée en Grèce il y a deux ans (voir sur ce blog Les Grecs parlent-ils chinois ?), les Chinois s’intéressent au port du Havre dont 40 000 m2 d’entrepôts viennent d’être rachetés par un homme d’affaires chinois.
Il est toujours déplorable de voir à quel point certains points forts français (une présence littorale unique) sont négligés par la France (aucune réflexion sur le devenir et le positionnement des ports au XXIe siècle de la part du gouvernement) mais pas par d’autres acteurs étrangers. Par ailleurs, un récent rapport de l’OCDE a sévèrement jugé la compétitivité des ports français : Compétitivité des villes portuaires – Le cas de l’Axe Seine (Le Havre, Rouen, Paris, Caen) – pdf
Sur le site Owni.fr, vous trouverez une carte interactive sur les investissements chinois en Europe. En sélectionnant le pays de votre choix, vous obtiendrez le montant des investissements en question, ainsi que les secteurs concernés. Voici la capture d’écran pour la France :
Les Etats-Unis observent l’essor de la Chine en Afrique, telle est la traduction en français d’un article du Wall Street Journal qui en fait mériterait plutôt d’être titré : Les Etats-Unis perdent pied face à la Chine en Afrique. Les Américains constatent l’échec de leur politique d’assistance qui consiste à verser des aides financières prioritairement aux entités non-gouvernementales. Ainsi, malgré 4 milliards de dollars versés à l’Ethiopie depuis 2007, c’est la Chine qui bénéficie d’une image positive dans ce pays, et non les Etats-Unis. Les Chinois traitent en effet directement avec les gouvernements des pays africains sans ingérence dans leurs affaires politiques.
Au Zimbabwe, même les opposants au président Mugabe apprécient le fait que la Chine ne conditionne pas son aide à des enjeux politiques. Le vice-premier ministre, membre du parti d’opposition qui gouverne avec Mugabe, affirme clairement son choix : « Le modèle chinois nous dit que vous pouvez réussir sans suivre l’exemple occidental. »
Les Etats-Unis perdent de leur influence en Afrique tandis que la Chine séduit les gouvernements africains. Elle déracine son propre modèle de son contexte historique et culturel pour lui donner une vocation universelle. Les Américains ont tout à fait conscience de la puissance d’adhésion que représente le modèle chinois en Afrique. Robert D. Hormats, sous-secrétaire aux affaires économiques du Département d’Etat, le constate sans détour : « Il est tout à fait clair que le capitalisme d’Etat est utilisé comme un instrument de soft power par la Chine. » En 2010, 40% des contrats signés en Afrique l’ont été par des entreprises chinoises, contre 2% par des entreprises américaines…
Inde : interactions
Cette rapide radiographie culturelle de la Chine en Afrique laisse apparaître un autre symptôme qu’éclaire un blog du Monde Diplomatique avec cet article : De la Zambie à l’Ouganda : arbre chinois, forêt indienne. A plusieurs reprises, j’ai insisté sur ce blog sur la nécessité de ne pas se focaliser uniquement sur la Chine et de ne pas négliger la montée en puissance de l’Inde en Afrique. L’auteur de ce reportage sur l’Inde en Afrique fait de même en citant Alex Vines, directeur régional auprès du centre britannique en relations internationales de Chatham House : « L’Inde a jusqu’ici été l’objet de beaucoup moins d’attention rigoureuse que la Chine en ce qui concerne sa politique africaine. »
Dans cet article, nous apprenons que, si le commerce Inde-Afrique est trois fois moins important que le commerce Chine-Afrique, il représente cependant près de 40 milliards de dollars. Le positionnement indien vise à se démarquer de la Chine en insistant sur quatre dimensions : mise en valeur du potentiel africain, transferts de compétences, commerce et développement des infrastructures. Les deux premières sont les plus significatives de cette tentative de se démarquer dans la mesure où la Chine est souvent accusée d’agir à sens unique sur le plan des ressources humaines africaines.
Mais le reportage sur les entreprises indiennes en Zambie et en Ouganda montre que la réalité indienne est plus proche de la réalité chinoise en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles et les pratiques prédatrices peu soucieuses de respecter l’environnement naturel et humain. L’autre point noir concerne la captation des terres africaines par les géants indiens de l’agro-alimentaire, au point d’évoquer les « plus grands achats de terres agricoles africaines en l’espace de cinquante ans » avec notamment 2,5 milliards de livres britanniques d’investissements en Ethiopie, Tanzanie et Ouganda.
Ces interactions grandissantes entre Indiens et Africains viennent compléter les interactions établies entre Indiens et Européens, notamment entre Indiens et Britanniques. The Economist rappelle ainsi que le plus gros employeur dans le secteur industriel en Grande-Bretagne est indien. Il s’agit du groupe Tata qui a procédé ces dernières années à d’importants rachats d’entreprises anglaises, ce qui porte à près de 40 000 le nombre de ses employés en Grande-Bretagne :
Cette présence en Grande-Bretagne n’est cependant pas une nouveauté. Elle remonte à 1907 avec l’ouverture d’un premier bureau à Londres. C’est à partir de cet avant-poste que Tata Consultancy Services a été le pionnier de la sous-traitance informatique en Inde dès 1975. Cette longue coopération entre Indiens et Britanniques repose également sur des complémentarités managériales, avec des Indiens plus à l’aise pour sortir des sentiers battus et des Britanniques plus orientés vers la résolution de problèmes.
Il y a cependant en Europe de nouvelles formes d’interactions, notamment entre Indiens et Italiens. Un article très intéressant du New York Times : In Italian Heartland, Indians Keep the Cheese Coming nous fait découvrir l’importance vitale de l’immigration indienne dans les régions agricoles d’Italie. C’est là un mouvement qui s’est amorcé il y a une vingtaine d’années avec le départ à la retraite des fermiers italiens et l’impossibilité de leur trouver des successeurs parmi les jeunes.
Désormais, près de 16 000 Indiens travaillent dans l’agriculture en Italie, dont 3 000 dans la plaine du Po, soit un tiers de la main d’œuvre du secteur. Ces immigrants viennent du Penjab, ils sont pour la plupart sikhs et connaissent déjà le métier dans la mesure où ils travaillaient déjà en Inde dans des fermes et laiteries tout comme en Italie. En août dernier, un temple sikh a même été inauguré en Italie. Il peut accueillir jusqu’à 600 fidèles : il s’agit du plus grand temple sikh d’Europe continentale.
Etats-Unis : contradictions
Quoi de plus contradictoire que de chercher à conquérir les cœurs et les esprits d’un peuple qui ne comprend absolument rien à la raison de votre présence dans son pays ? C’est pourtant ce qu’expérimentent quotidiennement les soldats américains en Afghanistan. Dans un reportage sur PBSNewsHour, le journaliste montre des images des attentats du 11 Septembre à des Afghans. Des images qui ne leur disent absolument rien. L’un d’entre eux émet même l’hypothèse qu’il s’agit d’une vue de… Kaboul. En 2010, un sondage a fait apparaître que 92% des hommes afghans ignoraient ce qu’était le 11 Septembre.
Je vous invite donc fortement à regarder le reportage de six minutes ci-dessous. Si besoin, vous en trouverez une transcription intégrale en suivant ce lien. Vous pourrez également prolonger la réflexion sur cette question en lisant sur ce blog les deux articles sur l’intelligence culturelle et les opérations militaires : Armadillo, le contre-exemple & Une nouvelle approche du renseignement.
Les Etats-Unis deviennent eux-mêmes contradictoires. Je veux dire par là que le hiatus grandit entre la culture populaire américaine et la réalité démographique du pays. Alors que l’imaginaire collectif américain repose sur l’héroïsme de l’homme blanc (cf. les westerns au cinéma), les minorités dites visibles commencent à devenir majoritaires dans certaines parties des Etats-Unis. Autrement dit, les blancs deviennent minoritaires. Le Washington Post nous apprend que la région de Washington vient de rejoindre les autres régions ayant connu ce basculement démographique depuis une dizaine d’années : New York, San Diego, Las Vegas, Memphis.
Ce mouvement ne va pas s’inverser mais au contraire s’accélérer. Et il est prévu que les blancs seront définitivement minoritaires aux Etats-Unis à partir de 2050. Face à ces bouleversements, comment penser la culture populaire qui véhicule justement une représentation de la communauté majoritaire ? Assurément, bien des évolutions sont à venir. Certaines ont déjà commencé : voyez sur ce blog Le basculement historique des super-héros américains qui montre comment les figures iconiques de Batman, Superman et Spiderman ont évolué ces huit derniers mois pour “embrasser” les minorités.
France : irritations
Le Guardian propose un long reportage sur la « double peine » subie par les femmes intégralement voilées en France : interdites de se montrer en public, elles restent ou sont contraintes de rester enfermées chez elles. Surtout, l’article met bien en évidence toute la difficulté à faire appliquer une loi qui risque de contrevenir à la législation européenne en matière de droits de l’homme et de liberté de religion.
Certes, le Guardian met l’accent sur les tensions inutiles qui ont résulté de la médiatisation extrême et de la politisation du voile intégral dangereusement associé aux enjeux de l’identité nationale. Mais il y a une autre d’irritation qui va grandissante : les leçons d’intégration prodiguées par Charles Rivkin, ambassadeur des Etats-Unis en France. Dans le Nouvel Obs, l’ambassadeur américain imagine un « rêve français ». Interrogé sur le modèle d’intégration français, il a répondu ceci :
« Je ne suis pas là pour juger ni pour prêcher un modèle plus qu’un autre. Même si nous sommes mus par des valeurs communes, nous sommes vraiment deux pays différents. L’Amérique est un pays jeune, qui tire toute sa force de sa diversité. Presque tous les Américains viennent d’ailleurs. Tenez, mon grand-père était immigré, né en Russie. Quand il est arrivé en Amérique, c’était un petit employé qui faisait du lavage à sec. Et son fils est devenu ambassadeur. Et maintenant, c’est mon tour, je suis dans ce bureau, place de la Concorde. C’est ça, le “rêve américain”. Ca peut être la même chose ici, non ? Pourquoi pas un “rêve français” ? »
Cette réponse est à la fois très intelligente dans sa façon d’utiliser le storytelling ou l’art de l’anecdote, et un modèle de mauvaise foi avec deux dernières phrases qui viennent contredire la première affirmation. Autrement dit : je ne juge pas, je ne prêche rien mais rien ne vaut le modèle américain que vous devriez tout de même adopter.
La réponse de l’ambassadeur américain est d’autant plus irritante qu’elle vise juste en venant remuer le couteau américain dans les défaillances françaises en matière d’intégration. Le dernier exemple en date concerne les difficultés absurdes que rencontrent de plus en plus les diplômés étrangers non ressortissants de l’Union européenne pour travailler en France alors même qu’ils sortent des grandes écoles françaises. Sont en cause les nouvelles conditions de délivrance des autorisations de travail et l’alourdissement des procédures de changement de statut d’étudiant à celui de salarié.
Nous sommes ainsi passés de formalités de trois semaines à deux à trois mois d’attente. Quelle image de la France ont alors ces jeunes talents formés à l’excellence en France mais devant lesquels on dresse des murs décourageants une fois le diplôme obtenu ?
Enfin, vous lirez dans Le Point un reportage sur la projection à l’international des écoles de commerce françaises. Par certains aspects, notamment ce nouveau dynamisme à l’extérieur de nos frontières, il calmera votre irritation née des articles précédents. Par d’autres, il l’alimentera en constatant combien certains enseignements restent trop franco-français dans des antennes à l’étranger, en Chine par exemple, où les cours ne sont pas très différents de ceux dispensés en France.
Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de septembre au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (865 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!
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- Vous avez un projet de formation pour vos expatriés, une demande de cours ou de conférence sur le management interculturel?
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- Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et conférences et me contacter pour accompagner votre réflexion.
Serait il possible d’obtenir par mail des noms de revues et de magazines sur le MANAGEMENT INTERCULTUREL?
Merci d’avance
Caroline
Bonjour, je pense qu’un tour sur google devrait vous donner quelques éléments. A défaut, je vous renvoie vers le magazine Intercultures du Centre d’Apprentissage Interculturel du Canada.